‘Celui qui n’aime ni les femmes, ni le vin, ni le chant,
il sera un sot toute sa vie durant’.
Martin Luther 1483 – 1546

Preuve que Dieu existe, Il donne l’envie de chanter à ceux qui savent pas chanter. Et quand ces même pauvres casseroles ont une bouteille dans le nez, l’existence de Dieu devient incontestable : boire et chanter ne font pas toujours bon ménage.

Regardons donc la chanson à boire gaélique. Plus spécialement les refrains des trois chansons incontournables suivantes. Tout comme en français, la tradition gaélique dispose d’un répertoire impressionnant de chansons à boire.  Martin Luther peut donc s’en consoler, même si les Irlandais ne sont jamais transformés en hérétiques comme il aurait voulu, au moins ils savent boire et chanter. Commençons donc avec une petite liste de choses à boire :

uisce [iche-ka] eau water
uisce beatha [iche-ka baha] whiskey whiskey
báinne [bonne-ya] lait milk
beoir [biore] bière beer
fian [finne] vin wine

Dans la vie d’un buveur, il y a un personnage hautement redouté : anbean an tí, la femme aubergiste, mot à mot, la femme de la maison. C’est elle qui commande et qui terrorise, elle est encore plus terrible que son mari, an fear an tí, l’homme de la maison.

Dans les chansons il s’agit souvent de trouver les mots pour la calmer, pour qu’elle ne chasse pas le chanteur et ses amis de la taverne, et si possible leur fasse crédit. Dans ce registre, ‘Níl sé ‘na lá’ , où le chanteur réussit à rester dans l’auberge pour boire jusqu’à l’aube, est un grand classique de la chanson à boire irlandaise.

Níl Sé ‘na Lá
Il n’est pas (encore) jour

refrain

‘Níl sé ‘na lá, níl a ghrá,
Níl sé ‘na lá, is ná baol ar maidin,
Níl sé ‘na lá, is ní bheidh go fóill,
Solas ard atá sa ghealaigh’

[nil chez lâ, nil a grâ
nil chez lâ, isse na bouèle ère madjine
nil chez lâ isse ni bé go faulle
solasse ard athô sa yali]

‘il n’est pas (encore) jour, non, ô amour,
il n’est pas jour, aucun danger que le matin (ne vienne)
il n’est pas jour, il ne l’est pas encore,
La lune est (une) lumière haute’

On pourrait croire que cette chanson est une tendre chanson d’amour, mais le texte trahit l’intention intéressée de son auteur, la séduction d’une bean an tí. Plus loin dans la chanson, le joyeux buveur de bière dit qu’il est venu avec les moyens de payer sa bière. Argument très apprécié : on peut être bean an tí  et néanmoins rester femme ! La bean an tí se laisse donc séduire et décide qu’il peut rester boire jusqu’au matin. Elle appelle même son mari pour qu’il fasse de la musique. La chanson se termine avec le buveur de bière se lamentant sur son triste sort, son ‘loyer est descendu dans sa gorge’ et il regrette d’avoir embêté tout le monde.

Beaucoup de chansons traditionnelles témoignent des petits et grands moments de l’Histoire. Mieux que les livres, elles sont les reflets fidèles des vraies préoccupations et expériences des gens de ces époques révolues. Ainsi c’est dans les chansons que nous apprenons que l’Irlande faisait partie des rares pays où le peuple attendait  impatiemment l’arrivé d’un certain Napoléon Bonaparte et ses armées. ‘Ó Bhean a tí, cén buairt sin ort ?’ ‘Oh, la taulière, quel souci t’afflige ?’ Dans cette chanson, notre protagoniste assoiffé assure la bean an tí que les Français ont déjà débarqués sur les plages, et qu’ils vont bientôt arriver. L’Irlande sera libérée de l’occupation anglaise, la loi française sera mise en place, il y n’aura plus de fermages à payer et, bien sur, la bière sera désormais gratuite. On peut rêver !…

 

‘Ó Bhean a tí, cén buairt sin ort ?’
‘Oh, Aubergiste, quel souci t’afflige ?’

refrain

‘Agus ó bhean a tí, cén buairt sin ort ?
is ó bhean a tí, fá dhó nó trí
beidh talamh gan chíos ón bhliain amach ó seo
agus ó bhean a tí nach suairc é sin’

[ogeusse ô vane a ti, kéne bourtch chine eurte ?
isse ô vane a ti, fa do no tri
bé thalave gone kièsse aune bline amokh au cho
ogeusse ô vane a ti nock sueurc éi chine ?]

‘Et oh ! aubergiste, quel souci t’afflige ?
et oh ! aubergiste, fa deux, trois,
la terre sera sans fermage dans un an,
et oh ! aubergiste, n’est-ce pas agréable cela ?!

 

Pour terminer regardons bien comment le gaélique insulaire a pu puiser  aux mêmes sources linguistiques que le français continental.

An Crúiscín Lán
La cruche pleine

refrain

Agus líontar dúinn an Crúiscín agus bíodh sé lán
[ogeusse lientar dune one cruchkine ogeusse biu ché launn] Et remplissez nous la cruche, et qu’elle soit pleine

Crúiscín
[cruchkine] petite cruche
jug
lán
[launn] plein
full
Crúiscín a la même origine que mot français cruche (‘Cruie’, dérivé vers le XII° siècle du francisque kruka). Idem pour lán : c‘est ce qui reste du mot plein quand on ne prononce pas le p, cas des Irlandais jusqu’au 13ème siècle : Plein devient lein, et ensuite lán. Napoléon parlait peu ou pas de tout le gaélique, mais il n’aurait pas eu trop de mal à apprendre les chansons à boire.

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