‘Les mots sont des lions aveugles qui cherchent une source dans le désert’

Léon Bloy, 1846 – 1917, ‘Le désespéré’

 

Les mots sont-ils tous des lions aveugles ? Espérons que notre ami périgourdin Léon Bloy, tout désespéré quil fût, voulait simplement attirer notre attention sur le fait fait que certains mots ne sont pas toujours ce qu’ils semblent être. Parfois on a besoin de se mettre d’accord sur leur sens. Léon visait très haut, il visait le sens des mots philosophiques, le vrai, castelle bien et le beau. Notre Chronique Gaélique va rester plus terre à terre, nous allons étudier de près la double vie du mot dún, et nous allons par la même occasion faire connaissance de ses amis caisléan et doras.

dún [doune] forteresse (nom propre) / fermer (verbe)
caisleán [kaïchleåne] château
doras [dorasse] porte

 

De même que le français ‘ferme’ peut signifier à la fois le verbe fermer une ouverture et désigner une exploitation agricole, le gaélique dún peut avoir un double sens, à savoir l’acte de fermer ce qui est ouvert, ainsi que le fait d’être une habitation fortifiée. Dans les deux cas cette double vie des mots n’a jamais posé des problèmes ni semé la zizanie, tant pis pour les lions aveugles et assoiffés de Léon Bloy !

dún an doras [doune åne dorasse] ferme la porte

 

D’accord, ‘dún an doras’, fermer la porte, est du gaélique tout à fait simple, mais ne méprisez pas la simplicité ! Tant qu’il y aura des doras elle demeurera une phrase pertinente et pratique. Elle nous permet également d’aller au cœur de la théologie irlandaise.

‘Is gaire cabhair Dé ná an doras’
[isse gara kawaïr djé naa åne dorasse ]
‘l’aide de Dieu est plus près que la porte’

 

Entrons par la doras et visitons le dún, mot celte par excellence. Nous le trouvons partout dans le toponymes d’Irlande et d’Écosse, et nous le trouvons aussi en France, pays orgueilleusement celte avant l’arrivée des Romains latinisant. Ces mêmes Romains avaient la drôle d’habitude d’ajouter le suffixe –um à la fin des noms pour les faire passer pour du latin, peine perdue, le peuple n’est pas dupe !

Lugdunum Lyon
Lug + dún + um
La forteresse du (dieu) Lug + um

 

Pas mal de villes françaises doivent leur noms à un dún, ex : Loudun, Meudon, Verdun, Issoudun, Châteaudun et Autun. Celles-ci rejoignent les dún irlandais, ex : Dundalk, Dungannon, Downpatrick, Down et Donegal

Dún na nGall [doune na ngalle] La forteresse des Étrangers (Donegal)
An Dún [åne doune] La forteresse Down (comté au Nord-Est d’Irlande)

 

Depuis la nuit des temps les Irlandais construisaient des dún, des forteresses, mais après l’arrivée des Normands au 12ème siècle, snobisme et progrès obligent, ils se sont mis à construire des caisleáin, c’est-à-dire, des châteaux. On voit ici l’emprunt au latin, ‘castellum’. Effectivement le style est bien différent. Le dún est typiquement une clôture en bois, cernée d’une ou de deux fosses et remparts circulaires en terre. Par contre le caisleán est typiquement un édifice en pierre, une tour ou une maison fortifiée, beaucoup plus résistant aux attaques violentes et aux ravages de temps. On trouve des caisleáin partout en Irlande, en fait il est difficile de parcourir plus que 20 km sans tomber sur les ruines d’une tour quelconque, témoignage du passé militaire mouvementé et du mal que les Normands et les Anglais ont eu pendant des siècles à mater les irlandais révoltés. Terminons avec deux allusions à la vie châtelaine dans l’imaginaire gaélique.

De réir a chéile a thógtar na caisleáin’
[de réire a kaola a hoguetare na kaïchleåne]
mot à mot, c’est l’un après l’autre que les châteaux ont été construits’
‘Paris ne s’est pas fait en un jour’

Caisleáin óir
[kaïchleåne ooire] 
mot à mot, châteaux d’or,
‘châteaux en Espagne’

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Dernière mise à jour : dimanche 25 mars 2007
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