Toponymie Irlando-Française

‘Is fiú canta cáise a léithéid de cheacht’ Cette leçon vaut bien un fromage Jean de la Fontaine, 1668

 

Amusant. Qui aurait pensé qu’à chaque fois qu’on mange un petit fromage on célébrerait la vie et les œuvres de Celtes français et irlandais morts depuis deux mille ans ?

Un regard sur la toponymie de la carte d’Europe Occidentale, et plus spécialement de la Gaule, révèle un paysage riche en présence celte. Mis à part les fromages, les échose de cette joyeuse époque où un tiers de l’Europe était celte, parlait, écrivait, pensait tout en celte, se retrouvent aussi dans des noms de châteaux, des équipes de foot ou des ports. Les Romains latinisants vinrent ensuite, mais ils ne purent pas rebaptiser tous les noms de lieux français… et surtout ils ne sont jamais parvenus à envahir l’Irlande, où les Celtes et leur toponymie ont continué intacte jusqu’à nos jours. C’est ici le point de départ d’un nouveau livre fort intéressant de Art Ó Maolfabhail, qui traite de des similitude de toponymes que nous trouvons de nos jours aussi bien en France qu’en Irlande. Il nous fait ainsi découvrir des parentés toujours audibles dans toute leur splendeur celte après deux milles ans d’évolution ravageuse en prononciation et en orthographe.

Passons tout de suite au fromage. Bray, la fameuse ville balnéaire au sud de Dublin, et Brie, la célèbre région d’où vient le fromage, sont plus que deux heureux homonymes, leurs noms celtes signifient exactement la même chose, une « colline plateau ». C’est un mot celte bien robuste que deux milles printemps n’ont pas pu éroder, que l’on l’entend aussi dans l’anglais d’Écosse, sous la forme de brae, mot cher au cœur de Robbie Burns. Ci-dessous une petite liste de douze mots identifiés par Art Ó Maolfabhail que partagent les Irlandais et les Français.

 

Gaélique moderne signification Toponyme France Toponyme irlandais anglicisé Toponyme irlandais en gaélique
brí [bri] colline, plateau Brie Bray Bré
barr [barre] hauteur Bar-le-Duc Barnatra Barr na Trá
dubh [du] noir Doubs Dublin Dubh Linn
dún [doune] forteresse Châteaudun Dundalk Dún Dealgan
cam [camme] courbe d’une rivière Chambord Camlough Camloch
fearn [ferne] alise Vernay Rathfarnham Ráth Fearnáin
fionn [fione] blanc, lumineux Vendée Finglas Fionnghlaise
inis [inish] île Douarnenez Ennis Inis
iúr [eure] if Eure Loughanure Loch an Iúir
Lug [lug] dieu du soleil Lyon Louth
[ma] plaine Riom Maynooth Maigh Nua
ráth [rate] rempart en terre Carpentras Rathmore An Ráth Mór
ross [rosse] promontoire, pointe Roscoff Rosslare Ros Láir

 

En regardant les noms ci-dessus il est remarquable de constater l’étendu des noms celtes : toute la France est concernée, de Roscoff, le ross, le promontoire du forgeron, jusqu’à Carpentras, le ráth, le rempart des chariots. Le celte parlé en Irlande aujourd’hui est bien l’arrière petit neveu du celte parlé jadis aux quatre coins de la France. Nous voyons aussi que le culte donné au dieu celte Lug était exceptionnellement bien répandu et durable, ayant lieu aussi bien à Lyon et à Loudun en France qu’à et à Dún Lúiche en Irlande, en anglais Dunlewy et Louth. En Irlande le huitième mois de l’année est appelé d’après le nom du même bonhomme Lug, dieu celte souvent assimilé au Mercure des Romains : le mois de César Augustus pour les Français, Août, est Lúnasa, le mois du dieu Lug pour les Irlandais. Il est à noter que les Romains ne sont jamais venus en Irlande, un détail d’histoire dont les Irlandais ne sont pas peu fiers, bien entendu. Ce serait une autre question si les Romains avaient jamais réussi à envahir l’Irlande, le nom en latin pour l’Irlande, Hibernia, l’hiver, nous donne une bonne idée de l’impression que l’île faisait aux Méditerranéens de l’époque, trop accoutumés semble-t-il à la ‘dolce vita’ italienne.

 

La toponymie celte de la France et de l’Irlande nous permet de voir beaucoup d’autres choses que les deux pays avaient en commun il y a deux milles ans. Les mêmes systèmes de fortification étaient pratiqués par les Celtes insulaires et continentaux, nous trouvons des ráth, des remparts en terre, aussi bien sous le soleil provençal que sous la pluie irlandaise. Carpentras et Coutras en France, Ráth Mór, Ráth Fearnáin et une centaine d’autres ráth en Irlande. Grande référence partout, le dún, la forteresse, on trouve toujours aujourd’hui des centaines en Irlande et des dizaines en France, Issoudun, Loudun, Verdun, Dinard, Autun et Lugdunum, l’ancien nom pour Lyon. Pour les besoins de construction les arbres étaient bien répertorié dans les noms des lieux, par exemple l’alise, le fearn dans Vernay, et l’if, l’iúr dans d’Eure. Côté esthétique nous retrouvons fionn, blanc ou beau, à un v et g près, dans Guingamp, Vendôme et Vendée. Fionn est également le prénom d’un des grands héros des légendes irlandaises, Fionn Mac Cumhail, Fionn fils de Cumhal, nommé ainsi à cause de ses cheveux, d’abord blonds, ensuite prématurément blancs.

 

Peut-être le plus étonnant c’est que l’ancien nom pour la France, à savoir la Gaule, est lui-même un mot celte, un mot qui est toujours de monnaie courante aujourd’hui dans le gaélique d’Irlande et sa signification, “étranger”, n’a pas changé depuis deux millénaires, un exploit plutôt remarquable dans le domaine de langues vivantes.

gall [gall] étranger => Gaule

Donegal (Dún na nGall) la forteresse de l’étranger

Galltacht Région où on parle la langue de l’étranger, à savoir l’anglais

 

Rien de mieux après deux mille ans de celtitude que de finir avec une phrase bien pratique pour féliciter quelqu’un, ‘thar barr’ ! Facile a retenir , c’est le même barr que nous trouvons en Bar-le-Duc.

Thar barr ! [harr barr] Bravo ! (mot à mot : au dessus du sommet)

‘Ó Lyon go Dún Lúiche’ de Art Ó Maolfabhail, Clódhanna Teoranta, 2005 ‘L’Aventure des Langues en Occident’, Henriette Walter, Robert Laffont, 1994

 

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